1953. Chronique d’une naissance annoncée
Dans ce roman acadien, montréalais et mondial, France Daigle meuble sa venue au monde à l’aide des événements internationaux par les articles écrits ou commentés par son père journaliste à l’Évangéline et les émois causés par l’inconnue maladie coeliaque tout en étant en mesure, toute femme qu’elle est, de projeter la vie des gens jusque beaucoup plus tard dans l’existence et de faire plusieurs choses à la fois. Ce qui amène l’auteure à traiter dans une même phrase ou un même paragraphe des sujets les plus multiples et d’en tirer des finales étonnantes dans notre monde où les focus groups dominent et organisent nos vies depuis 20 ans.
C’est ainsi que France Daigle nous fait rencontrer, par le biais de leur lecture des chroniques du monde entier et des soins qu’elles lui ont prodigués, sa mère et les garde-malades qui se sont occupées d’elle alors qu’elle n’était que Bébé M.
« 1953. Chronique d’une naissance annoncée » surfe sur une fine lame à la limite de l’érudit, d’une fine sagesse et d’une verve éblouissante. Il vous mènera vers l’histoire des Prix Nobel, Marx, Lénine, des papes catholiques, en Italie, Yougoslavie, des écrits de Barthes, le couronnement d’Élisabeth II, l’avènement du cinéma et l’opinion de l’Église et des amateurs qui ne se regarde pas mais qui commentent les autres avec la panoplie de salles et les films à l’affiche dont ceux en français étaient de si mauvaise qualité qu’ils risquaient de faire détester notre langue, le tennis et la balle qui revient et dont chacune est un défi… sans oublier « les deux Jacqueline (les aviatrices Jacqueline Auriol et Jacqueline Cochrane) ». C’est un roman / essai historique / récit de vie absolument inouï, infiniment et improbablement féminin…
CITATIONS / EXTRAITS
« À cette altitude, il est impossible de trouver que le monde est laid et que la vie est une impasse. » (p. 81)
« Sans qu’elles aient tenté d’échapper à leur passé, on peut dire que le passé les a rattrapées. L’une et l’autre savent, quoique confusément, qu’elles atteignent en quelque sorte un point d’arrivée, mais non un but comme on s’en fixe parfois dans la vie. Il s’agirait plutôt d’une halte, plus ou moins nécessaire, plus ou moins désirée, mais non dépourvue d’intérêt pour autant. » (p. 84)
« Probablement parce que l’Église désirait elle aussi utiliser ce moyen de communication à ses fins, elle se garda de condamner le cinéma tout court et s’employa plutôt à mettre les gens en garde contre son côté pernicieux. […] Ces propos laissaient planer une ombre dans l’esprit de personnes généralement catholiques comme Garde Vautour et la mère de Bébé M., qui justement se considéraient assez mûres dans leur jugement. […] Bref, l’Église ne croyait pas l’homme moyen assez fort pour revenir au bercail après quelques heures d’identification au brave héros du film, embrassant la belle vedette dont la séduction dépassait quelquefois grandement l’attrait de l’épouse assise au fauteuil voisin. D’autre part, sous une apparence de distraction, le film avait pu mettre les nerfs du spectateur à rude épreuve et, par conséquent, troubler sa tranquillité d’esprit pendant plusieurs jours. […] Les mises en garde répétées reprenaient souvent les mots du cardinal Feltin, archevêque de Paris, qui prophétisait que l’être humain ne pouvait pas impunément s’élargir la conscience. » (p. 107-108)
1953. Chronique d’une naissance annoncée, élaboré par France Daigle reparaît, après une première publication en 1995, en fin d’année 2014 aux Éditions Prise de parole.