
Le grand bousillage
Auteur : Volker BRAUN
Titre original :
Machwerk oder Das Schichtbuch des Flick von Lauchhammer
Traduit de l’allemand par
Jean-Paul Barbe
Éditions Métailié, Paris
Cet homme, il veut travailler. Oh comme il veut continuer à travailler. Se trouver un travail. Montrer à son petit grandeur nature ce qu’il sait faire et comment les faire, lui qui fut le grand sauveur de toutes les situations catastrophiques quel que soit le problème dans ces mines et lieux de travail que fut l’Allemagne de l’Est. Oui, mais maintenant c’est l’Allemagne réunifiée… Et lui, le héros du passé connu de tous et toutes doit s’adapter à ce monde qui lui est complètement étranger et qui lui a retiré autant son travail que son habit de gloire, sa fierté, sa dignité.
C’est ainsi qu’il se retrouve – entre autres et après plusieurs autres postes à lui confiés en toute confiance par la dame du bureau d’emploi – gardien de nuit dans une ancienne gare de Berlin transformée en musée d’art moderne où certaines oeuvres semblent avoir besoin d’ambulanciers… Lui n’est pas ambulancier mais il sait se servir de ses dix doigts ! Pas comme son rejeton à qui il voudrait bien relever les épaules.
Ce pauvre homme est obsessif dans sa volonté et sa capacité de travailler, de tout régler au quart de tour, de donner des ordres, de mener les équipes, de mettre sa communauté au travail. Finies les interminables pauses sitôt qu’il débarque. Le marasme dans lequel sont plongées les usines et les mines du peuple et même les sols n’a plus sa place. Et s’il doit lui-même s’emparer du matériel de creusage laissé à la traîne par les fonctionnaires syndiqués, il va le faire et il va se battre pour faire le travail à leur place si eux sont si négligents. Parfois, il risque de se faire battre puisque les négligents risquent d’être organisés et fiers mais il rebondira, n’ayez crainte, après son séjour à l’hôpital. Il se rendra jusqu’en Pologne pour travailler. Il est ainsi fait, ce Flick, ce travailleur ayant bien appris sa leçon qu’il était à l’époque propriétaire des usines et des mines, comme tous les habitants de sa communauté.
Ce livre a dû être un casse-tête incroyable à traduire. Car la plume est leste autour des élucubrations de ce personnage un peu obsédé. On se rit de beaucoup de choses dans ce livre et pas uniquement de l’ancienne Allemagne divisée en deux et réunifiée mais du monde actuel, occidental, globalisé, unifié et milliardaire au niveau des cheveux mais horriblement pauvre à partir des oreilles en descendant.
EXTRAITS / CITATIONS
« Il aime bien ses aises, le Travail, il se déplace, tant que les banquiers lui donnent leur bénédiction. Tel le prophète Samuel, il leur prédit leur chute. Mais la Pologne d’aujourd’hui ne voulait rien savoir. Ils poursuivirent donc leur voyage dans ce pays aux mille odeurs, le seigle mûrissait dans les champs. Un terroir béni, avec des cieux infinis pour le plomber. Jusqu’au sol qui se bombait et se dressait et quand ils arrivèrent à Waldenburg, ils sentirent l’odeur du charbon. Et, de fait, Flick devina dans le crépuscule du matin des silhouettes allant en douce chercher le précieux minerai. C’étaient des mineurs licenciés, qui ne savaient rien faire d’autre, qui n’avaient récolté qu’une bonne silicose et qui, depuis qu’il avaient arrêté de faire marcher les machines, continuaient à fouiller à la main. Il les entendit pour ainsi dire proclamer : Ils nous ont ôté travail et espoir mais ils ne nous ôteront pas notre dignité. La chose plut à Flick et il emboîta le pas à ces saints hommes.» (p. 95)
Le grand bousillage de Volker Braun, un roman fiction sur la volonté de travailler, traduit de l’allemand par Jean-Paul Barbe, est publié en français aux éditions Métailié, Paris.
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